Le refus
Quand le monde, surtout le monde de la jeunesse, venait, avec tout son attirail, ses déguisements nombreux, ses propositions les plus extravagantes, l’homme à chaque fois refusait presque tout. Parfois il ne daignait même pas laisser entrer le monde, jeter un œil au catalogue, aux démonstrations… L’homme ne refusait pas vraiment, il se contentait de dire « Plus tard, reviens plus tard », et l’année d’après le monde revenait, vainement. Puis le monde est revenu une année sur deux, puis encore moins souvent…
Maintenant, isolé en bordure d’un monde où presque tous ont beaucoup accepté, l’homme commence à se demander anxieusement si les propositions tiennent toujours, il voudrait que le « plus tard » advienne, que le monde s’annonce une dernière fois, brinquebalant, ridicule et sans vergogne, vieillard déguisé en enfant déguisé en monstre razziant les confiseries… Mais le monde hésite, et le montre ; il rechigne, peut-être veut-il se faire prier, supplier. « Tu croyais m’échapper ? Repens-toi ! Et comme punition, voici : tu devras tout accepter, ou rien : je t’interdis de choisir ! » L’homme n’a pas besoin de réfléchir longtemps, cette proposition est inacceptable, et scandaleuse, injuste, une punition disproportionnée pour la présomption de sa jeunesse.
En attendant son tour d’annoncer ce dernier refus, il essaye de se remémorer le moment où il se serait trompé, pour froisser et s’aliéner ainsi le monde. Mais il ne voit pas de moment de rupture, plutôt une longue suite de petits pas ayant fini par opposer deux horizons. Brusquement il s’en va. Pourquoi attendrait-il le monde pour annoncer sa décision irrévocable ? Il lui est désormais plus étranger que jamais. L’homme regrette seulement de savoir qu’il ne pourra jamais faire comme si le monde n’existait pas.