Le sommet est bien visible…
Le sommet est bien visible tout là-haut, blanc et brillant. Nul ne s’y trompe ; il suffit d’avoir levé la tête ne serait-ce qu’une fois pour le distinguer. Si pourtant il n’est guère fréquenté, c’est que les rares chemins y menant sont trop difficiles. Aussi a-t-on chargé un grimpeur de frayer un chemin qui soit aussi facile à suivre que le sommet l’est à montrer du doigt. Il s’y emploie obstinément, sans cesse questionnant ce qu’il a obtenu : le sol est-il assez lisse, le dénivelé assez doux, le balisage assez clair, les étapes sont-elles assez régulières ? Il veut que ces dernières soient comme celles d’un pèlerinage : assez courtes et faciles pour ressembler à une balade, assez longues pour que le sommet puisse être atteint en un petit nombre de jours, avant que les impatients ne se lassent. Comme il n’est que rarement satisfait — lui qui sait atteindre le sommet à volonté —, le grimpeur doit fréquemment faire demi-tour pour chercher une voie plus accessible. C’est pourquoi le chemin monte si lentement. Mais on n’est pas pressé. Il importe évidemment que le sommet soit atteint, mais il importe surtout qu’il puisse l’être par tous, même les enfants, même les vieux, les culs-de-jatte, même les aveugles : « Pourquoi ? a-t-il demandé. — Pour que nul n’ait plus d’excuse », lui a-t-il été répondu.