Voilà les hommes, il arrivent…
Voilà les hommes, il arrivent, silencieux. Ils ont besoin d’être durs, sinon la peur les terrasserait. Être armés ne les rassure plus, ils ont perdu leur insouciance. Ils se tiennent très droit, mais leurs regards ne se croisent pas. Ils ont honte, et ne savent pas de quoi. Ils tâchent de l’oublier en veillant, en s’absorbant dans le scrutement des lointains, d’où viennent les menaces. Viennent et puis vont, tandis que les hommes restent. Ils vieillissent dans la méfiance croissante : d’un horizon qui s’approche à mesure que leur vue baisse ; de leurs voisins ; de leurs instincts. Ils sont devenus complètement étrangers à eux-mêmes, et la plupart finissent par disparaître, de nuit, dans la forêt. Ils s’éloignent assez pour que la distance et le mur végétal absorbent tous les bruits, puis tirent une dernière balle.
On les retrouve par hasard, longtemps après, ayant repu des charognards ; un bout de fer enfoncé dans l’écorce de l’arbre contre lequel ils s’étaient adossés. Bientôt humus, plutôt que fossiles.