Le voilà qui bricole…
Le voilà qui bricole : il prend un ongle et le met sur sa paupière, il remplace ses orteils par ses doigts, ses doigts par ses orteils, il met ses yeux à la place de ses narines, ses narines au bout de ses seins, ses mamelons dans ses orbites oculaires ; il met ses cheveux sur ses fesses et ses genoux dedans, il plante ses dents tout autour de son cou comme un collier, il intervertit cœur et cerveau, bras et jambes, ou bien il colle ses chevilles à ses fesses, met ses jambes à la place de ses oreilles et ses oreilles au bout de ses jambes, puis dénoue et déplie son nombril et le modèle en forme de fleur… Les morceaux qui lui restent en main, il les détaille un par un puis, une fois qu’il a trouvé à les réutiliser, il observe comment fonctionne le tout, si la transformation est viable ou non. Comme il n’est jamais satisfait, il recommence sans cesse, et toujours, à regret, il en revient à tout remettre à peu près tel qu’il l’avait trouvé. Ce n’est pas manque d’imagination, mais plutôt que ses propres pièces sont trop peu nombreuses, et ne se laissent pas aisément détourner de leur fonction d’origine et plier à ses désirs. Il n’a pourtant que celles-là, qui sont à la fois tout son matériau et tous ses outils. Il ne peut même pas les échanger avec autrui, dont il ne peut attendre que la petite aide qui consiste à maintenir ses pièces pendant qu’il les travaille avec la douceur et la retenue que sa peur de les casser lui impose : c’est seulement en les caressant, en les frottant, en soufflant dessus qu’il essaye de les façonner. Il change ainsi presque constamment, mais si peu chaque fois, si lentement, qu’on n’a pas de mal à le reconnaître, sur lui on voit plutôt ses efforts que leurs résultats.