Journal du conteur

Les contorsionnistes

À l’école des contorsionnistes, on ne prend que des nouveau-nés. On les met dans une boîte, et on les y laisse. Ils y mangent, y dorment ; ils y grandissent, toujours plus courbés, plus comprimés.

Dès qu’ils remplissent la boîte, on les emmène en tournée.

Sous les yeux de la foule silencieuse, attentive, on sort le contorsionniste de sa boîte. Il est bossu, chétif, débile, difforme ; il ne peut pas, ou à peine, se tenir debout. On l’expose dans tous les sens, on le fait aller et venir d’un bout à l’autre de la scène ; quand la foule est rassasiée de sa vue, un grondement de tambour retentit. La foule retient son souffle : c’est pour le contorsionniste le moment du choix : il doit décider de rentrer dans sa boîte, ou de quitter la scène pour tenter sa chance dans le monde.

S’il choisit le monde, il se traîne vers la coulisse, sous les jets de fruits, sous les huées. Là il attend que les spectateurs soient partis, puis, dans un vieux manteau dont on lui a fait l’aumône, il s’enfonce en rampant dans la nuit.

Si, au contraire, il choisit la boîte, sous les cris joyeux de la foule il doit y rentrer immédiatement. Il ne peux plus renoncer, la foule le lyncherait s’il échouait maintenant. Il s’efforce donc, d’abord les jambes, ou les fesses ; il se plie, se replie, se tord, se comprime. Celui qui malgré tout n’y parvient pas est au désespoir, la foule s’impatiente et gronde, il doit en finir… il en est réduit à se briser les os pour rentrer.

Alors on remporte la boîte refermée, et le lendemain soir, dans une autre ville, on recommence.

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