Lorsqu’il est fatigué de porter la montagne renversée de sa mémoire…
Lorsqu’il est fatigué de porter la montagne renversée de sa mémoire au-dessus de sa tête — ce qui ne manque pas d’arriver souvent, étant donné le poids, constamment croissant par surcroît, de l’édifice —, l’homme peut se reposer sur elle : il la retourne, et comme elle tient bien sur sa large base, elle peut aussi le tenir lui, sur sa pointe ou son flanc. Mais jamais trop longtemps : s’il s’abandonnait trop sur la pente de sa mémoire, l’homme s’exposerait au danger de tomber, de dévaler sa mémoire comme une avalanche ; et s’il s’endormait sur sa pointe pas encore émoussée par l’oubli, il risquerait de ne se réveiller que pour se sentir mourir empalé. C’est pourquoi l’homme doit se résoudre, à peine reposé, à retourner de nouveau sa mémoire et à la porter, pointe en bas, bien au-dessus de sa tête, toute la journée sans faiblesse : au moindre faux pas, la montagne tombe et l’ensevelit.