Journal du conteur

Petits démons

Récemment réapparus sont les petits démons. Petits par la puérilité, non seulement par la taille ; démoniaques par l’égoïsme et l’indiscipline. On les croyait et les espérait éteints : grande déception ! Ont-ils quitté, pour une raison inconnue, le fond des grottes, le cœur des jungles où ils s’étaient cachés tout ce temps ? Ou bien ont-ils été recréés, sécrétés par la bienveillance de mauvais maîtres ? — au sein même de notre civilisation, dans nos villes, où ils pillent nos ordures. Inconsciemment ils hésitent encore entre conquérir et détruire. De cette hésitation nous profitons en hâte : les accueillons, les flattons, nous soumettant apparemment. Ils se moquent de nous, répètent en perroquet nos proverbes, nous singent et croient nous ridiculiser en minaudant à voix aiguë ; inutile de se fâcher : quelques minutes d’une docilité affectée, obséquieuse suffisent à épuiser la patience de ces rustres et goinfres, dont la bouffonnerie nous distrait. Trapus et grossiers, jaloux, menteurs, voleurs, mais dénués de toute subtilité, ils s’invitent, de sorte que n’importe quel hôte expérimenté sait comment les prendre, comment les amener à se conduire selon nos volontés, comment leur apprendre à manger, non à dévorer, eux qui ne sont pas des ogres et n’ont jamais été des fauves. Et en moins de générations qu’il n’en faut pour créer une nouvelle espèce, ils seront devenus, sinon des bourgeois, du moins d’ordinaires citoyens laborieux.

393