Journal du conteur

Tu étais dans le château…

Tu étais dans le château, tu courais pour échapper aux tireurs. Ils entraient dans une salle — pleine de jeunes gens posément assis sur les gradins —, jaugeaient la foule un instant, silencieux face à face, puis se mettaient à tirer. Le silence était rompu par les balles et les cris, les courses, les chutes, les chaises renversées. Toi tu fuyais depuis presque le début, deux fois déjà tu t’étais trouvé près de la porte basse au moment de l’entrée, par l’autre porte, en haut, des tireurs, et tu avais mis à profit la seconde du jugement pour t’échapper. Cette fois, un tireur se tient devant la porte. Il te désigne de son arme et stoppe ton élan vers la sortie : pourquoi n’emportes-tu pas un peu de la nourriture du buffet ? Il sourit puis désigne tes chaussures. « Qu’est-ce que c’est que ça ? Des sandales ? Tu n’iras pas loin avec ça… » Mais il s’efface et te laisse sortir, tu as peur qu’il ne t’abatte mais déjà tu es dans l’autre salle et les cris commencent. Cette fois tu suis la foule qui fuit. Les corps tombent autour de toi, tu es dans le couloir. Tout à coup tu avises une porte, évidente mais que tu es le seul à voir : tu la franchis et te retrouves dans la cour du château. La palissade est basse, tu l’escalades sans difficulté. Et te voilà sur la route. Mais tu n’es pas sauvé pour autant : le jour n’est pas levé depuis longtemps ; avant la nuit salvatrice, les tireurs auront tout le temps, dans leurs énormes véhicules, de t’écraser sur cette tortueuse, cette unique route étroite, ou de t’abattre. Tu t’es bien débrouillé jusque-là, mais ta vie, malgré la liberté qu’ils te laissent, dépend encore entièrement de leur choix et de ses critères inconnus.

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