Journal du conteur

Une nuit, pendant son sommeil…

Une nuit, pendant son sommeil, l’araignée entra dans sa tête. Dans l’ombre de sa tête, elle se tenait tapie, immobile, elle attendait. À un moment, sans doute sous l’effet d’un cauchemar, les traits de l’homme se crispèrent, et il ouvrit grand la bouche. L’araignée s’y faufila en un éclair et s’installa dans sa tête.

Le matin au réveil, il sentit qu’elle était là. « La bête est en moi » fut sa première pensée. Il se le répéta dès lors obsessionnellement, désespérément. La plupart du temps l’araignée demeurait immobile, hors d’atteinte de ses sens, mais parfois il pouvait la sentir ramper le long de son œsophage, ou tout au fond de sa gorge. Au début, à chaque fois qu’il sentait que ça bougeait en lui, il était secoué d’un dégoût panique, il essayait de la noyer en buvant, ou de la vomir, qu’elle meure ou qu’elle sorte. Mais avec le temps il finit par s’y habituer. Il ne pensa plus qu’occasionnellement à elle, quand il se regardait dans un miroir ; alors il se répétait : « La bête est en moi. »

Il l’accepta, et vécut avec. Quelle ne fut pas sa surprise, un matin au réveil, de sentir qu’elle était partie. Surprise redoublée lorsqu’il constata, les jours et semaines suivants, que personne ne remarquait la différence. Il enragea. Il avait passé toutes ces années à maudire l’araignée, en lui imputant tous ses échecs, ses problèmes, ses défauts. À présent il s’en rendait compte, il s’était servi d’elle bien plus qu’elle ne s’était jamais servie de lui — elle immobile constamment. Ne pouvant plus la rendre coupable de ses malheurs, il lui fallut se rendre à cette évidence révélée : « La bête, l’araignée, c’est moi. »

Et le lendemain il sentit, apaisé, plein de gratitude, qu’elle était revenue.

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