Mais je n’ai pas et n’aurais jamais alors atteint le bord, le mur de frontière, mes véritables objectifs de cartographe et chercheur de limites. Égaré dans la nuit soudaine, je me contente du dur, de toute solide verticalité. Si le jour revient… — Si alors je les aperçois toujours… aussi loin soient-ils, je partirai, l’appel sera irrésistible, les atteindre, les sentir, savoir que j’ai touché l’un des bouts du monde, qu’au-delà s’étend seulement l’amoralité physique et biologique, que la réalité humaine la plus brute s’éprouve ici, lieu où les dernières illusions s’évaporent, dans la lumière crue des banales vérités inconfortables que je suis venu chercher pour les assumer. (Que la vie ne tient qu’à un fil ; que presque tous avant de mourir nous souffrirons ; qu’il est des contextes où l’homme est bien pire qu’un loup pour l’homme, etc.)
Si au contraire ce bord, ce mur je ne les entrevois plus, j’hésiterai inévitablement. Partir et me perdre ; rester et m’enterrer ; faire demi-tour et rentrer vaincu ? Je ne sais même pas, hors hasard, ce qui me ferait choisir une de ces voies amères plutôt qu’une autre.