Je n’ose pas entrer. Je suis devant la porte, le poing levé, prêt à frapper contre le bois, à attendre l’entrebâillement de la porte et la question sûrement bienveillante d’un propriétaire. Mais je n’ose pas frapper. Je me sens ridicule immobile le poing levé tout contre la porte, j’imagine de longs regards soupçonneux dans mon dos. Alors je redescends les quelques marches du perron et je commence d’aller et venir dans la rue, sur le trottoir d’en face, en attendant me dis-je d’avoir le courage d’entrer.
Bientôt je m’assois sur le muret d’enceinte du parc et je remarque ce que j’aurais dû voir dès mon arrivée : le panneau « Entrez sans frapper ». Je tressaille et me désespère, mais je ne me lève pas. Le crépuscule me surprend à cette même place ; la nuit tombe et je m’en vais.
« J’évoque mon maître, qui souvent m’évoqua le sien. Disciples : écoutez-moi !
Il ne répondait pas quand on lui parlait, il ne répondait pas aux lettres que les ascètes et les ermites ses fils, des montagnes et des forêts lui envoyaient pour solliciter son aide ou son conseil. Il n’avait pas toujours été comme cela (sinon qui aurait voulu de lui comme maître ? Comment se serait-il fait remarquer, honorer ?), mais, en vieillissant, il devenait toujours plus silencieux, plus contemplatif. Il semblait s’éloigner de la terre : et de nous aussi, faibles et naïfs enfants aux pieds embourbés ; parfois, qui le regardait dans sa pose habituelle, assis en lotus, les jambes croisées, les yeux fermés, les mains posées ouvertes sur les genoux, croyait le voir flotter quelques centimètres au-dessus de la pierre plate au bord de l’eau où il passait ses journées et parfois ses nuits.
Évidemment, jeune il avait dû travailler, comme nous tous. Il ne rechignait pas à la tâche, mais il était évident que son corps travaillait en l’absence de la partie la plus importante de son esprit : dans ses mains, dans ses pieds, ses yeux et ses oreilles ne gisaient plus que des réflexes. Son esprit était ailleurs, perdu ou engagé dans un monde ou un combat hors de notre portée. Peu à peu, sa réputation le délivra du besoin de travailler, les hommes acceptant, par respect, bientôt pas vénération, de subvenir à ses besoins (évidemment fort modestes). Un jour il m’avoua qu’il avait honte de son statut, du respect qu’on lui vouait, de la vénération dont il était devenu l’objet, honte de ne pas gagner son pain de ses mains, honte d’être à la charge de la collectivité : s’il avait pu il serait volontiers rentré dans le rang ; mais l’emprise de son monde intérieur était telle qu’il débordait pratiquement dans le notre inférieur : et notre maître était condamné, condamné à rester ici d’infinies heures immobile, à laisser couler dans sa tête les siècles d’un autre monde dont la connaissance lui importait maintenant plus que celle du monde de sa naissance. Ce qu’il voyait, ce qu’il apprenait, resta toujours un mystère, qui ne sera peut-être jamais percé.
Néanmoins il parvenait encore à consacrer à notre enseignement quelques heures précieuses. Alors, quel émerveillement coulait dans nos oreilles et remplissait nos têtes ! Jamais, jamais je n’arriverai à l’égaler, et vous devriez me maudire de ne pouvoir être pour vous ce qu’il fut pour moi et quelques autres dont je suis je crois le dernier survivant… bientôt vous serez parmi les rares a pouvoir perpétuer la mémoire du plus sage d’entre les sages que notre contrée prodigue ait produit. Ne la laissez pas s’évanouir dans l’oubli des siècles !
Non, je répondrai aux questions après, il me reste encore quelque chose à vous dire que vous devrez ne pas laisser perdre. Mon maître ne vécut pas très vieux ; mais il eut tôt l’air d’un vieillard. Les jeûnes, les privations, l’immobilité efforcée des semaines entières avaient eu raison d’une constitution presque chétive. Aussi nous craignions tous une mort imminente. Craindre est un mot faible. Un jour enfin, il nous appela auprès de lui pour nous dire adieu. Il nous gronda de nos larmes humaines et nous dit de ne pas nous étonner ; et tandis qu’il parlait son corps, d’abord les pieds, puis les jambes, les bras, disparaissait, s’évanouissait, comme s’il n’avait jamais existé. À sa place, la terre se fissurait, et quand, le dernier mot sorti de sa bouche, le visage de mon maître lui aussi s’éteignit, une source limpide, abondante, jaillit de la terre, et forma une rivière. Elle coule encore, toujours belle et toujours plus utile : vous êtes assis sur sa berge. »
Les questions préparées s’éteignirent comme un visage déjà légendaire, et le silence sembla ne devoir jamais finir.
L’homme entra sur la scène du théâtre et une nuée de goélands s’abattit sur la scène ; les spectateurs se jetaient sous les bancs, mais l’homme restait debout, immobile, deux fois il caressa le dos d’un oiseau proche, d’un geste lent et précis. Puis il battit des mains et la nuée s’en alla, montant vers le couchant en formation serrée, sous les yeux soulagés du public, qui se remit très vite de sa frayeur — personne n’avait été blessé — et regarda avec une extrême intensité l’homme debout seul immobile au milieu de la scène, et qui le regardait. L’homme regardait le public sans bouger les yeux, on ne lui voyait pas de cillements, et pourtant chacun dans le public aurait juré que c’est lui seul que l’homme regardait, avec une acuité sans comparaison, dans les yeux. Et ce n’était pas difficile de soutenir son regard — auraient-ils tous dit —, on n’y sentait qu’une extrême bienveillance — quoique triste aussi — sans espoir.
Soudain, mais toujours très lentement, avec la douceur qu’on prête aux rivières calmes, il tourna le dos au public, s’accroupit, posa la main droite sur l’estrade de bois, et murmura quelque chose. Un décor apparut tout autour de la scène, c’était la mer, dans toute son identité, qui mugissait là, des bateaux passaient à l’extrême horizon, qu’on distinguait aux petites voiles blanches, des oiseaux volaient et leurs cris atténués parvenaient dans l’assistance et vous faisaient pleurer, si vous ne regardiez pas l’homme, de nouveau face au public, de nouveau immobile et silencieux, de nouveau couvant l’assistance d’un regard intime unanime. Une barque apparut au bord de l’eau, et l’homme y prit place. Il commença à ramer et s’éloigna doucement, presque sans effort, de la rive, et des larmes coulèrent sur les joues des femmes. Alors il y eut sur la scène autant de barques et de rames qu’il en fallait pour tout le monde, et la foule se rua vers elles et suivit l’homme vers l’horizon, où on l’apercevait encore, ayant hissé la voile de son embarcation, filant vers l’est à la mesure du vent léger.
Tant que dure l’enfance, l’éducation des dieux n’est pas différente de celle des hommes ; la divergence intervient après, pendant l’adolescence : quand, à une question du jeune dieu — il en pose des dizaines tous les jours —, les adultes, inopinément, pour la première fois ne répondent pas. C’est le moment choisi par ses pères où, tandis que les hommes du même âge commencent à travailler, le dieu adolescent doit tout seul tout reprendre à zéro. Jusque-là ses pères avaient manifesté envers lui de l’empressement, désormais ils lui parlent à peine, le laissent le plus souvent seul, feignant l’indifférence : il faut qu’il n’hésite pas à douter même d’eux, à refuser leur héritage entier (sauf ce dont il a besoin pour ce refus même) afin de l’évaluer, morceau par morceau. Il doit se faire le plus naïf possible, il doit regarder comme s’il n’avait rien vu, rien su, pour peut-être trouver ce que les autres n’avaient pas vu ou conçu, et en déduire ce que personne encore ne sait. Il doit tout redécouvrir et tout recréer, et se refaire tout seul : c’est pour lui la seule manière de parvenir à connaître, à comprendre l’univers entier. En chemin il doit se poser à nouveau, depuis la première, toutes les questions posées depuis le début du monde, et chercher tout seul toutes les réponses, en passant par toutes les erreurs historiques de ses aïeux pour les dépasser lui aussi. Comme un animal, il doit explorer son territoire, de plus en plus vaste ; il doit aiguiser son sens de l’orientation à la recherche d’eau à boire ; réapprendre, pour survivre, à cueillir et à chasser ; retrouver comment faire naître le feu du silex ou des branches frottées ; réapprendre à cultiver le blé, à en tirer la farine et à fabriquer le pain ; domestiquer les animaux pourvoyeurs de lait ; entièrement construire de ses mains la maison qui l’abrite… Il doit trouver les premiers théorèmes de la logique et des mathématiques, relier ses connaissances de plus en plus nombreuses pour définir et faire progresser toutes les sciences une à une ; il doit finir par acquérir toutes les compétences et qualités techniques, scientifiques, artistiques, et regagner tous les savoirs stratifiés en ses pères jusqu’à les égaler. Quand il a tout repensé, tout redécouvert et recréé, tout appris et réappris, il possède et maîtrise ses acquis intimement, comme seul leur découvreur et créateur peut les posséder : il a compris au moins tout ce que ses pères ont compris, et son éducation est terminée.
Cette plénitude est inaccessible aux mortels à vie brève comme les hommes. Il faudrait, ici aussi, redescendre en soi jusqu’au nouveau-né préhistorique nu, vide, errant dans le dénuement le plus animal avec sa tribu, et refaire depuis cette préhistoire de l’individu et du monde tout le chemin de la civilisation. Mais celui qui le rêve doit se résigner à ne pouvoir le faire que dans son étroit domaine — sans être certain que même en se pressant, même en sacrifiant douloureusement joies et douceurs de la vie quotidienne, il vivra assez longtemps pour achever son éducation, et pouvoir commencer à l’utiliser.
Ils escaladaient la dernière colline. Arrivés près du sommet, le fils commença à discerner par instants un bruit vague, sourd, diffus, profond, un sifflement plus grave que celui du vent, percé de rares aigus stridents. « Les hommes » pensa-t-il. Enfin ils atteignirent la crête. Cachés derrière de gros rochers, ils observaient, écoutaient : des maisons hautes comme des montagnes montaient vers les nuages du matin, des cris, des grincements, des bruits ininterrompus agressaient leurs oreilles habituées au silence des plaines. Une intense agitation couvrait la surface entre les bâtiments, de gros véhicules circulaient à des vitesses incroyables. « Voilà les hommes, dit le père. — Où ? dit le fils. — Regarde tout en bas, entre les bâtiments et les véhicules, tu en vois quelques-uns qui marchent. » L’enfant se concentra, et il distingua finalement quelques-unes de ces créatures. Il les reconnut. « Mais ils sont comme nous ! » s’exclama-t-il, ahuri. Il regarda son père : « Nous sommes donc nous aussi des hommes ? — Qu’avons-nous besoin de ce nom ? La Terre connaît-elle son nom ? » L’enfant réfléchissait plus vite que jamais, les questions s’accumulaient. « Pourquoi vivent-ils différemment de nous ? Connaissent-ils notre existence ? — Je n’en sais doublement rien, dit le père. Pourquoi t’intéresser tant à eux ? Maintenant tu sais tout sur nous. Le soleil décline déjà, il est temps de repartir, viens. »
Les temps ont changé : les dieux n’ont plus que Rousseau pour seul guide quand ils séjournent sur terre. Ils tapent à la porte de son ermitage, et il les reçoit sans surprise, avec une bienveillance presque paternelle, comme de vieux amis toujours jeunes. Il leur offre à boire pendant qu’il raconte les derniers événements, puis il les emmène faire la visite. Il leur montre des lapins au loin qui s’enfuient à leur approche ; un brusque mouvement dans les fourrés, c’est une biche, un daim surpris qui détale ; il les arrête et les invite à regarder passer, là-bas entre les arbres, une ourse brune et son petit ; comme ils sont plus jeunes et plus agiles, bien qu’assez graciles et peu enclins aux travaux physiques, il en invite un plus intrépide que les autres à monter à ce chêne pour aller voir dans le trou là-haut les petites mésanges piaillantes ; arrivés à la clairière où il avait prévu de faire une pause, ils cueillent tous ensemble des mûres — les dieux se piquent les doigts aux ronces et rient — puis les mangent au soleil, allongés sur le ventre. Au retour ils s’arrêtent un moment pour ramasser une petite provision de châtaignes, qu’ils font griller et qu’ils dégustent en buvant la tisane qu’il a préparée avec des plantes qu’il a cueillies lui-même une autre fois dans la forêt.
Le soir, après les au revoir et les à bientôt, les dieux remontent, fatigués mais sereins : la terre est belle et il y fait bon vivre.
Tu as fauté : nous te bannissons. Lâche la laisse que tu tiens, et tends-nous ton cou : nous allons te détacher. Libre à toi ensuite d’aller où tu voudras — tant que tu n’essayes pas de revenir dans notre société. Si tu le faisais, sois sûr que tu périrais étouffé, étranglé par nos laisses. Nous ne voulons plus de toi pour pair : va-t’en.
Si tu as un moyen de pouvoir revenir, un jour ? Nous notons avec bienveillance le fait que tu le demandes, semble-t-il avec humilité et déjà repentance. Voici : mets-toi à portée de regard ou de renommée de nous, et, de loin, nous t’observerons. Si ton comportement nous paraît de nouveau compatible avec la manière dont nous voulons vivre (hélas pas encore tout à fait celle dont nous vivons — mais tu as outrepassé les bornes de notre tolérance), nous te ferons signe.
Hier j’ai appris à faire du feu. Théoriquement. J’ai essayé pendant peut-être une heure, tentant très maladroitement de faire tourner mon premier bâton sur mon second… Déjà il nous avait fallu plusieurs heures de préparation : trouver du bois sec, rassembler assez de brindilles et de branches. À dessein, l’endroit n’y était que modérément propice, et nous avons dû marcher longtemps. Nous aurions mis moins de temps si nous nous étions séparés, mais nous avions trop peur : ici, il y a encore des ours et des loups, et c’est l’été. Je n’ai été ni le premier ni le dernier à essayer en vain. Heureusement l’un de nous a réussi, un travailleur manuel, très adroit. Nous en avons évidemment fait, pour cette semaine, notre chef — lui que nous aurions peut-être dédaigné, chez nous en ville ! Le feu nous a permis de dormir — un petit peu, naturellement à tour de rôle sans pourtant que nous ayons mis en place de tours de garde : le feu est censé tenir à distance les animaux, cela nous le savons encore. Bon : voilà l’instinct qui revient. Il nous en reste donc un peu. Bien moins qu’il n’en faudrait pour survivre, sans doute, dans mon cas du moins. Robinson était moins démuni que nous. Mais nous avons le nombre, et un chef apparemment solide. Le feu nous a donc permis de dormir, mais il ne nous a pas nourri. Ce matin il a fallu, ventres gargouillant de faim, fatigue dans les jambes et nausée dans les cœurs, il nous a fallu trouver à manger. Nous avancions doucement dans la forêt, attentifs aux couleurs, aux mouvements. Au bord d’une clairière nous avons trouvé des mûres. La faim m’a aidé plus que la raison à surmonter ma peur des insectes et j’ai aidé les autres à les ramasser : quelques poignées de mûres en tout, moins d’une par personne. À peine de quoi pouvoir continuer à chercher un vrai repas. Maintenant c’est la pause, nous nous sommes épuisés à courir après ce lapin qui lui non plus n’aurait rassasié personne. Notre manœuvre d’encerclement, non concertée, n’était pas stupide, mais elle n’a pas suffi. Car presque aucun d’entre nous n’a osé se jeter sur le lapin, n’a risqué de se tordre une cheville, de s’écorcher. Les ronces des mûres nous ont rappelé la douleur physique ; et l’impatience, la faim ne nous ont pas encore rendus prêts à tout. Le pourraient-elles ? Auraient-elles le temps de faire remonter jusque dans nos yeux l’acuité (combien d’entre nous, en plus de moi, ont des lunettes ?), l’attention constante, jusque dans nos jambes et nos doigts les réflexes, l’adresse, la vitesse, jusque dans nos cœurs la détermination, la colère lucide et concentrée du coûte que coûte ? Telle est la question. Mais la fin des vacances est proche, et je doute que d’ici là une quelconque réponse soit apportée. Tout au plus, à mon avis, la majorité d’entre nous sera-t-elle heureuse de se voir le corps un peu plus mince, un peu plus musclé.
Alerté par un bruit, je regarde précipitamment autour de moi. Je vois notre guide, avec ses jumelles, son téléphone, sa boîte de médicaments, sa boussole. Assis à l’écart, son casse-croûte à la main, il nous observe — tristement. Il la devine, lui, la réponse, me dis-je.
Comme tout un chacun je porte le monde sur mes épaules, mais je n’en ai conscience qu’en de rares et brefs instants, durant lesquels je ploie et crois mourir, jusqu’à ce que je me rende compte que si je m’accroupis, je ne sens plus le monde sur mes épaules : les autres continuent de le porter, ils sont debout, nous sommes tellement nombreux que ma défection est inaperçue. Je distingue, de loin en loin parmi les jambes, quelques hommes eux aussi accroupis, mais la très grande majorité est debout. C’est donc ainsi que nous nous reposons, tour à tour. Je regarde le monde, et au bout de quelques minutes je distingue une légère bosse qui pointe vers moi. Très lentement, elle grossit : c’est le monde qui, en ce point précis, manque d’un appui, et menace de se déchirer. Le repos est alors fini, je me relève et reprends ma charge. Je la sens à peine ; c’est pourquoi, quelques instants plus tard, j’aurai oublié le monde. On s’attendrait plutôt à ce que rien ne soit plus lourd et insupportable que le monde, mais le fait que nous existions, perdurions, prouve que non. Le monde est donc léger, puisque nous ne sommes pas des colosses. Sur mes épaules, il y a même encore de la place.
La trace étaie en quelque sorte la terre qui l’entoure, elle la solidifie. Sans l’empreinte du pas, le chemin serait une rivière de sable. C’est donc grâce aux traces que nous pouvons avancer, et c’est pourquoi nous les célébrons par nos chants. Mais les enfants les plus curieux ne veulent plus chanter, ils veulent comprendre. Ils nous posent trois questions sur les traces. Aux deux premières nous répondons ainsi :
D’où viennent les traces de pas ? Tu suis les traces à l’envers, pour retrouver leur origine. Plus les traces semblent vieilles, plus tu crois t’approcher. Mais les traces disparaissent tout à coup, et te laissent seul en plein nulle part. Du moins est-ce ton expérience, mais elle est illusoire : car la trace survit à l’érosion du paysage. Bien sûr on ne peut plus la voir, disparus les volumes concrets qui moulaient son volume vide ; mais elle demeure, au même point du monde, identique. Parfois, quand le pied vivant, par hasard vient combler la trace vide du pied, il arrive encore qu’on la sente, comme un chausson, ou comme un étau.
Qui a laissé les traces ? — Et qu’as-tu fait d’autre, ta vie durant, marchant et suivant des traces — que laisser toi aussi des traces ?
Quant à la dernière question, chacun de nous y répond à son heure :
Où mènent les traces de pas ? Pour le savoir il faut les suivre. C’est ce que nous faisions ; et nous aurions dû savoir, au moins deviner, qu’elles menaient, qu’elles ne pouvaient que mener à ce mur contre lequel sont adossés des milliers de cadavres et des milliers de squelettes, nos prédécesseurs, que nous allons, maintenant vieux et malades, imiter.